Christina* doit se trouver un logement avec ses deux enfants en bas âge. Son propriétaire reprend le 5 ½ qu’elle occupait depuis plusieurs années afin d’en faire des studios qui se loueront à 980 $ mensuellement. Bien qu’elle ait demandé de l’aide à plusieurs reprises au service de référence de l’Office municipal d’habitation de Montréal, cette dernière ne reçoit pas l’aide promise. Elle appelle, rappelle, se fait envoyer des listes de logements trop chers, déjà loués ou dans un quartier éloigné de l’école de ses enfants et de son travail. Depuis plusieurs mois, bien qu’elle travaille d’arrache-pied à trouver un logement adéquat, elle est sans-logis aujourd’hui 1er juillet.
Mattéo*, lui, avait un bail de deux ans dans un OBNL d’habitation pour jeunes. « Deux ans, ça peut paraître long, mais en fait, ça passe très vite. Je n’ai pas réussi à trouver un logement à temps. Quand tu es jeune, te trouver un logement c’est difficile. Les propriétaires assument toujours que tu es un fêtard. Depuis, je dors dans mon auto.» déplore-t-il.
Nous sommes travailleuses au POPIR-Comité logement dans le Sud-Ouest de Montréal, là où le taux d’inoccupation est le plus bas sur l’île de Montréal à environ 0,3%. En tant qu’organisme qui défend les droits des locataires, nous nous sentons obligées de vous exposer aujourd’hui, Madame Laforest, les situations de ménages locataires qui à ce jour, n’ont toujours pas été aidés par les mesures d’urgence prévues pour le 1er juillet puisqu’ils n’entrent pas dans les critères fixés par la Société d’habitation du Québec. Plus concrètement, ils ne seront donc pas hébergés et ils ne pourront recevoir une subvention pour louer un logement.
Le 30 avril dernier, vous affirmiez que «toutes les ressources sont là». Depuis le 1er juillet, vous répétez que «personne ne va se ramasser à la rue». La dizaine de ménages locataires que nous accompagnons dans nos quartiers sont toujours en recherche. Ils se demandent où sont ces fameuses ressources visant à soutenir les locataires sans-logis depuis le premier juillet.
Quand on est amené à faire affaire avec les services d’aide mis en place, on se rend compte qu’il faut être un.e locataire parfait.e pour avoir le droit d’être aidé à l’heure de cette double crise sanitaire et du logement. Vous n’avez pas renouvelé votre bail de votre plein gré, pour toutes sortes de raisons qui vous appartiennent? Vous n’êtes pas dans les critères! Votre propriétaire vous a harcelé jusqu’à que vous quittiez pour faire des travaux? Si vous n’avez pas contesté à la régie, vous n’êtes pas dans les critères! Vous sortez d’un appartement temporaire où vous aviez un bail de deux ans pour vous remettre sur vos pieds d’une situation difficile? Vous n’êtes pas dans les critères! On se contentera de vous remettre une liste de logements trop chers pour vos moyens, dans des quartiers où vous n’avez peut-être jamais mis les pieds, loin de tous vos services, et ils seront sûrement déjà loués au moment où on vous remettra la liste.
Le 30 avril, vous admettiez également n’avoir aucune idée de combien de locataires seraient potentiellement sans-logis le 1er juillet. Au 1er juillet, on recensait 370 ménages locataires qui n’avaient toujours pas signé de baux. Ce sont seulement ceux qui ont faire appel aux services d’aide très peu publicisés. Trop nombreu.se.x qui ont arrêté d’appeler à l’aide parce qu’ils n’ont plus confiance. Où iront-ils? Bien souvent, même nous, nous en perdons la trace. Mais nous avons pouvons supposer que certain.e.s retourneront dans des situations de violence pour éviter la rue en pleine crise sanitaire. D’autres familles vont s’entasser chez des proches dans des logements trop petits en espérant ne pas être signalées à la DPJ. D’autres, après avoir épuisé leur réseau social, vers lequel les ressources les auront encouragés à se rediriger, se retrouveront à la rue. Tout ça dans un contexte de crise sanitaire sans précédent, alors que votre gouvernement prétend tout faire pour désengorger notre système santé.
Depuis deux ans, votre gouvernement refuse d’investir dans de nouvelles unités de logement social. Si on avait par exemple investi pour la rénovation des unités HLM barricadées il y a deux ans, on aurait eu assez d’unités pour y loger tous les ménages qui ont fait appel au service de référence. Depuis des mois des locataires appellent en panique, en pleurs, et avec un sentiment d’inquiétude généralisé quant à leur recherche de logement en vue du 1er juillet. Ce ne sont pas leur négligence, leur manque de diligence ou leurs mauvais comportements qui les amènent à devoir quitter leur logement le 1er juillet. D’ailleurs, il est erroné de croire que les locataires sont les principaux responsables de cette crise annoncée depuis longtemps. La faute repose davantage sur la marchandisation de l’immobilier au Québec et plus précisément à Montréal. Nous ne cesserons de le répéter, le logement devrait être un droit et non pas une marchandise. Comment se fait-il que les mécanismes de reprise de logement se fassent en toute simplicité, et ce, dans les paramètres légaux que propose le Code civil du Québec. Que la subdivision, l’agrandissement ou la réaffectation d’un immeuble locatif soient les mécanismes légitimes pour gonfler une économie sauvage au détriment des locataires. Si l’immobilier et la construction de logement sont actuellement en effervescence, c’est au détriment des droits des locataires, surtout des plus vulnérables. Plus que jamais avoir un toit sur la tête sécuritaire est un droit. Cessez donc d’entretenir cette phrase prémâchée douloureuse à avaler : «Personne ne sera à la rue.» C’est faux et vous le savez très bien! Agissez donc en conséquence.
Sandrine Belley et Mollie Lévesque, organisatrices communautaires au POPIR-Comité logement
*Noms fictifs