La décision du gouvernement fédéral de se retirer totalement du financement à long terme de nouveaux logements sociaux à partir du 1er janvier 1994 a privé le Québec de 65 000 logements sociaux, presque entièrement destinés à des ménages à très faible revenu. C’est à cette conclusion qu’en arrive le FRAPRU, au moment du vingtième anniversaire de la mise en application de cette décision.
Le FRAPRU évalue que ce manque à gagner se chiffre à 39 000 dans la seule région métropolitaine de Montréal, dont 28 600 dans la ville même de Montréal. La ville de Québec a été privée de 5900 logements. Quant aux régions métropolitaines de Gatineau, Sherbrooke, Trois-Rivières et Saguenay, elles ont respectivement perdu 2200, 1700, 1600 et 1000 logements sociaux [Photo : une des nombreuses manifestations du FRAPRU en 1992 et 1993]
Selon le coordonnateur du FRAPRU, François Saillant, « si tous ces logements avaient été réalisés, le nombre de mal-logés et de sans-abri du Québec aurait été réduit d’autant ». Il précise que 228 000 ménages locataires québécois consacrent plus de la moitié de leur revenu au loyer, selon l’enquête menée en 2011 par Statistique Canada. Quant au nombre de personnes itinérantes, il est évalué à au moins 30 000.
François Saillant ajoute que « le retrait fédéral a aussi sonné le glas du programme d’habitations à loyer modique (HLM) qui, malgré une certaine croyance véhiculée à tort dans les médias, n’est jamais revenu depuis, alors que près de 40 000 ménages sont en attente d’un tel logement à travers le Québec, dont plus de 22 700 à Montréal ».
Un second retrait d’Ottawa
Avant la date fatidique du 1er janvier 1994, tous les logements sociaux réalisés au Québec étaient financés en partie ou en totalité avec des fonds fédéraux. C’est à cette réalité que le gouvernement conservateur de Brian Mulroney, qui, dès 1990, avait commencé à sabrer dans les sommes consacrées à de nouveaux logements sociaux, a décidé de mettre fin dans son budget du 26 avril 1993. Il y annonçait qu’à partir du 1er janvier suivant, le budget de la Société canadienne d’hypothèques et de logement serait gelé à 2 milliards $ et que celle-ci ne financerait « plus le logement par des engagements sur 35 ans qui font supporter la majeure partie du coût de l’aide actuelle au logement par les contribuables futurs ».
Aucun gouvernement subséquent, qu’il soit conservateur ou libéral, n’est depuis revenu sur cette décision, se contentant au mieux d’accorder du financement à court terme, non récurrent, à ce qu’Ottawa appelle « le logement abordable ». Le gouvernement conservateur n’y consacre présentement que 250 millions $ par année à l’échelle du Canada, dont 58 millions $ au Québec, somme que le FRAPRU qualifie de « peanuts ».
Vingt ans plus tard, le budget de la SCHL se situe toujours au même montant de 2 milliards $. Or, ce budget, qui sert à plus de 80 % au financement des logements sociaux réalisés par le passé, est appelé à diminuer considérablement dès les prochaines années. Le gouvernement conservateur de Stephen Harper continue en effet de faire la sourde oreille aux pressions des provinces, des villes et des organismes communautaires qui lui demandent d’annoncer la poursuite de ces subventions au fur et à mesure qu’elles arriveront à terme. Au Québec, 125 900 logements sociaux recevaient encore une telle aide à la fin de 2012, ce qui représente déjà une baisse de 1350 par rapport à 2010. Il s’agit de la totalité des HLM existants, de la majorité des logements coopératifs et sans but lucratif du Québec, de suppléments au loyer accordés à des logements communautaires ou privés, ainsi que de logements autochtones.
Marie-José Corriveau, organisatrice au FRAPRU, craint que « ce second retrait du gouvernement fédéral n’ait des conséquences aussi graves que celui de 1994 ». Elle note que « c’est l’accessibilité financière des logements sociaux réalisés avant ce moment qui se retrouve maintenant menacée pour les locataires à très faible revenu qui y vivent présentement, mais aussi pour tous les ménages qui voudraient y entrer à l’avenir ». Le FRAPRU presse le ministre des Finances, Jim Flaherty, d’annoncer, dès son budget prévu pour mars, la poursuite des subventions à long terme versées aux logements sociaux existants et la décision ferme du gouvernement conservateur de ne pas répéter le coup d’il y a vingt ans.
Explication sur la méthode
Pour arriver au chiffre de 65 000 logements sociaux, le FRAPRU a calculé la moyenne de logements sociaux que le gouvernement fédéral a contribué à financer entre 1985 et 1989, avant les premières coupures opérées par le gouvernement conservateur. Celle-ci est de 5356 logements par année.
Si Ottawa avait conservé ce rythme de 5356 entre 1994 à 2013, ce sont 107 120 logements sociaux qui auraient pu se réaliser. Or, durant ces vingt ans, le gouvernement québécois a annoncé le financement de 42 125 logements sociaux, que ce soit ou non avec la participation financière fédérale. La différence entre les deux chiffres est exactement de 64 995. Ce nombre représente le manque à gagner du Québec. Le FRAPRU l’a, par la suite, réparti régionalement, en fonction du nombre de ménages locataires ayant des besoins impérieux de logement selon la Société canadienne d’hypothèques et de logement.